Nous allons revenir ici sur les quatre influences historiques majeures qui ont conduit au format et au style des scénarios contemporains.
1/ Les pièces de théâtre, puis le journalisme.
Le théâtre est une influence naturelle, car certains des premiers films à succès étaient des pièces adaptées à l’écran, souvent par les dramaturges eux-mêmes.
Puis plus tard, des écrivains de journaux comme Ben Hecht et Charles MacArthur se sont rendus à Hollywood, attirés par les sommes considérables qu’ils recevaient. En fait, Hecht a été attiré à Hollywood par un télégramme qui lui a été envoyé par Herman J. Mankiewicz, ancien journaliste lui-même, qui disait : « Il y a des millions à prendre ici, et tes seuls concurrents sont des idiots ».
Cette combinaison de format de pièce de théâtre et de sensibilité journalistique a façonné une grande partie de ce qui a évolué dans le style du scénario au cours des premières décennies du XXe siècle.
2/ La technologie.
Dans le Conseil n°18, j’ai noté comment l’avènement du son en 1927 a entraîné la nécessité du dialogue dans les scénarios, mais même avant cela, nous constatons l’impact de la technologie sur l’évolution du scénario. Par exemple, alors que le public aspirait à voir des films de plus longue durée, les cinéastes ont dû faire face à de nombreux problèmes intéressants.
Comme une bobine ne pouvait contenir qu’entre 12 et 15 minutes de film, que faire lorsque le projectionniste arrivait à la fin d’une bobine, puis devait arrêter le film, décharger la première bobine, charger la bobine suivante, enfiler le film, et démarrer la caméra ? Comment conserver le public pendant ces quelques minutes gênantes qu’il a fallu pour échanger les bobines ? Les scénaristes ont pris l’habitude d’insérer des cliffhangers (moments critiques) remplis d’incertitude et à la résolution incertaine à la fin de chaque bobine pour garder le public accroché pendant les changements de bobines. Ainsi, au fur et à mesure que la technologie évoluait, surtout en réponse aux désirs des cinéphiles, le scénario a changé.
3/ Les studios.
Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Thomas Ince, mais il est une figure importante dans l’histoire du cinéma dans la mesure où il a fondé le tout premier studio de cinéma de « soup to nuts », connu sous le nom de “Inceville” (situé dans ce qui est maintenant Santa Monica). Afin de maximiser le contrôle sur le processus de production de douzaines et de douzaines de films par année, Ince a officialisé la façon dont les scénaristes devaient aborder les scénarios qu’ils créaient.
C’est devenu un modèle qui a existé tout au long des nombreuses décennies de l’ère du système dit « des studios », jusqu’aux années 60, lorsque le contrôle rigide des studios a commencé à s’effondrer. Vous n’avez pas besoin d’aller plus loin que votre copie de Final Draft pour voir un vestige de ce système – le format Warner Bros – qui est un préréglage dans ce logiciel d’écriture.
En effet, lorsque j’ai fait mon entrée dans le business pour la première fois en 1987, Warner Bros avait une réserve de dactylographes qui prenaient n’importe quel scénario qu’un scénariste donnait, puis le retapaient dans le format que le studio utilisait depuis des décennies.
Au fil du temps, un type de formalisme a évolué en termes de présentation de scénario découlant des exigences du système des studios. D’un certain côté, c’est tout à fait logique dans le cadre d’une approche industrielle de la réalisation des films. Ici, le scénario est essentiellement un plan directeur pour la production du film, utilisé par tous les membres de l’équipe de production – électros, machinos, décorateurs de plateau, effets spéciaux, budgets, horaires, etc. Afin de faciliter ce processus, les scripts devaient avoir le même format de base.
Puis la quatrième influence est entrée en jeu :
4/ Le scénario de vente
Pendant la majeure partie du XXe siècle, les scénaristes travaillaient à contrat, signant des CDD à court terme, mais souvent à long terme aussi, avec les studios d’Hollywood.
– Puis, en 1933, Preston Sturges a fait quelque chose que personne d’autre n’avait fait : il a écrit et vendu le tout premier scénario « on spec » (spéculatif) : The Power and the Glory.
– Des décennies plus tard, William Goldman a vendu son scénario original Butch Cassidy et le Sundance Kid (400 000$, le prix le plus élevé payé pour un scénario original à l’époque. 2,7 millions de dollars en argent d’aujourd’hui. Scénario qui allait devenir le film le plus lucratif de 1969 et un gagnant de plusieurs Oscars).
– Dans les années 70, Paul Schrader a vendu son scénario original Yakuza.
Ces derniers et quelques autres ont préparé le terrain pour les années 80 où le phénomène du scénario « on spec » a explosé.
Il ne s’agissait pas seulement de permettre à des scénaristes de tous horizons d’utiliser un scénario original pour s’introduire à Hollywood, mais aussi, avec le temps, de libérer les scénarios du formalisme de l’ère des studios.
Les scénarios sont encore des plans servant à la réalisation d’un film, on les appelle « scénario de tournage » ou « brouillon de production ». Mais avant cela, dans les années 80, un scénariste devait être capable d’écrire un premier scénario qui attire suffisamment l’attention pour qu’une entité financière accepte de fournir les fonds nécessaires à la production du film.
C’est la naissance de ce qu’on peut appeler le scénario de vente.
Un scénario on spec est par définition un scénario de vente. Cependant, un scénario de vente n’a pas besoin d’être un scénario spéculatif.
Tout scénario écrit par un scénariste en phase de développement – à partir d’un pitch, d’une commande, d’une réécriture, d’une adaptation – est aujourd’hui un scénario de vente car son but est de générer de l’intérêt, de créer du buzz, d’attirer les talents et de faire avancer le projet vers la production.
Par conséquent, à un niveau fondamental aujourd’hui, notre travail en tant que scénariste est d’écrire une histoire qui est si engageante, divertissante et agréable à lire qu’elle « vend » au lecteur, au talent ou au financier la viabilité artistique et commerciale du film à venir.
Au cours des trois dernières décennies, les scénaristes ont adopté cet objectif et ont repoussé les limites de la sagesse conventionnelle dans presque tous les aspects de l’écriture des scénarios.
En fait, la tendance est née de ce que j’appelle les scénarios de vente « littéraires ». Et que l’on s’en rende compte ou non, la plupart des soi-disantes « règles » de formatage de scénario ont émergé à la suite de ce changement.
– Quand vous lisez : surtout pas de « CUT SUR »…
– Quand vous entendez : surtout ne pas mettre de mouvements de caméra…
– Lorsque vous apprenez qu’aucun paragraphe ne devrait comporter plus de trois lignes de description…
Tout cela est l’expression de ce mouvement vers un style d’écriture de scénario plus « littéraire », considérant le scénario moins comme un guide pour produire le film, mais plus comme un moyen d’engager le lecteur dans l’histoire, sans être distrait par des conventions techniques archaïques.
L’ironie du sort est la suivante : alors que ce style littéraire est au cœur de la libération des scénaristes du formalisme à l’ancienne, les « gourous » qui font la promotion des “Ne faites pas ça”, ont créé eux aussi leur propre type de formalisme.
Peu importe ce que les soi-disant spécialistes de l’écriture pensent de ce que l’on peut faire ou pas dans un scénario, voici un fait :
Les scénaristes n’ont jamais eu plus de liberté pour écrire ce qu’ils veulent écrire et comment ils veulent l’écrire qu’en ce moment. Et cela est dû en grande partie à l’émergence du marché du scénario de vente au cours des trois dernières décennies, qui a permis aux scénaristes de créer les histoires les plus fascinantes et les plus cinématographiques possible sur la page afin de convaincre les lecteurs.
Nous voici donc au début du 21ème siècle avec cette forme du scénario en mouvement. Et c’est encore en évolution. Jusqu’à cette forme contemporaine que la majeure partie d’entre nous pratiquons. Ce sera le sujet d’un prochain conseil sur l’art et l’artisanat du scénario !
© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.