Nous pouvons regarder l’histoire de différents points de vue : structurellement en termes d’intrigue, thématiquement en termes de symbolisme, visuellement en termes d’imagerie.
Cependant, lorsque nous considérons une histoire du point de vue du personnage, ce que nous faisons, c’est l’interpréter comme un voyage psychologique. En effet, de ce point de vue particulier, il n’est pas incongru de penser que tous les événements de l’histoire et tous les personnages n’existent précisément que pour soutenir le déroulement de la quête psychologique du protagoniste.
L’éminent psychanalyste et théoricien suisse Carl Jung l’expliquait ainsi :
« D’un point de vue psychologique, lorsqu’un conflit intérieur n’est pas rendu conscient, il se produit à l’extérieur, comme un destin. Ainsi, lorsque l’individu est divisé et ne prend pas conscience de ses contradictions intérieures, le monde finit par mettre le conflit en scène. »
Sur le plan personnel, cela signifie que si nous n’intégrons pas tous les aspects de notre psyché, en particulier les instincts plus sombres, l’univers créera les circonstances pour nous forcer à le faire.
En termes d’écriture de scénario, cette observation a deux implications :
– Un protagoniste qui commence une histoire dans un état de désunion intérieure aura un destin implicite qui le forcera à progresser vers une sorte d’unité.
– Les événements qui se produisent dans la ligne d’intrigue de l’histoire, en surface, ont un lien direct avec les éléments constituant la dissonance intérieure du protagoniste.
Comme Joseph Campbell l’a suggéré : “Le Héros doit changer, même si ce besoin de changer lui est inconnu au début de l’histoire.”
Ainsi, lorsque Dorothy dans Le Magicien d’Ozcherche à aller “quelque part au-dessus de l’arc-en-ciel”, poussée par son sentiment de déconnexion avec l’endroit où elle vit et où elle ne se sent pas chez elle, nous avons dès le début le sentiment que son voyage psychologique impliquera des événements qui l’aideront à résoudre son problème intérieur : “Il n’y a pas de meilleur endroit que sa maison”.
Voilà ce qui se passe quand nous abordons l’écriture des scénarios en fonction des personnages :
On plonge dans le protagoniste, on détermine ce qui constitue sa dissonance intérieure, puis on travaille à partir de cette compréhension du personnage pour créer le fil rouge qui alliera les événements et les actions dans un cheminement unique qui entraînera le processus de transformation du protagoniste.
Bien qu’il y ait certains films où le protagoniste ne subit aucune transformation significative ou dont l’arc peut être négatif, le fait est qu’ils se transforment, et souvent de manière positive, dans une majorité d’histoires.
En comparant des milliers de mythes, Campbell a postulé que cette transformation est le thème central du Voyage du Héros.
Aussi, pour un scénariste, la meilleure façon de creuser le parcours psychologique de son histoire est peut-être de se poser ces deux fameuses questions :
Que veut mon protagoniste ?
De quoi a besoin mon protagoniste ?
Par vouloir, j’entends leur objectif conscient, un point final qu’ils ont clairement à l’esprit, peut-être dès le début de l’histoire, mais souvent à la fin du premier acte.
Que veut Dorothy dans Le Magicien d’Oz ? Une fois qu’elle atteint le royaume magique, son but – déclaré à plusieurs reprises – est de rentrer chez elle au Kansas.
Par besoin, j’entends le “but” inconscient du Protagoniste. Dans une certaine mesure, ils peuvent être conscients de ce désir intérieur, mais le plus souvent, c’est un instinct que le Protagoniste a supprimé inconsciemment dans sa backstory. De quoi Dorothy a-t-elle besoin au début, mais dont elle n’a pas encore conscience? De sentir que les gens avec qui elle vit au Kansas sont sa famille et que la ferme est bien sa maison.
La tension entre le désir et le besoin du protagoniste compose la dissonance interne. Aussi, au début du scénario, une vérité essentielle est cachée aux yeux de tous : les germes de l’”unité finale” du protagoniste se trouvent en lui dès le début du voyage.
Le besoin caché est la clé. Lorsqu’il émerge à la lumière de la conscience et que le protagoniste l’embrasse finalement comme un élément constitutif de son destin, il y a de bonnes chances pour qu’il aboutisse à une unité psychologique.
Cette vérité se reflète à la toute fin du Magicien d’Oz quand Glinda dit à Dorothy : “Tu as toujours eu le pouvoir de retourner au Kansas.”
“Tu as toujours eu le pouvoir.”
S’il y a un mantra clé pour comprendre l’essence de la métamorphose d’un protagoniste, c’est probablement cette phrase.
Le protagoniste a toujours eu le pouvoir caché en lui. Mais il était bloqué au début de l’histoire :
– Par les systèmes de croyances, les capacités d’adaptation, les mécanismes de défense et les modèles de comportement du protagoniste issus de sa backstory et constitutifs de sa “vie ordinaire” au début scénario.
– Par le refoulement et la négation de leur besoin, bien qu’il s’agisse d’un aspect clé de leur Moi intérieur authentique.
Dépasser les limites internes demande de l’énergie. Lorsque le protagoniste laisse enfin émerger son besoin, cela libère les vannes, et généralement ce dont il a besoin pour surmonter les défis auxquels il est confronté dans les actes 2 et 3.
Nous voyons ce type de métamorphose positive se jouer sans cesse dans les films, le protagoniste évoluant à partir d’un état de désunion initiale, s’embarquant dans un voyage au cours duquel il affronte différents obstacles et épreuves, défié par certains personnages, aidé par d’autres, puis finalement face à un ultime combat qui, s’ils le gagnent, lui permet d’atteindre une certaine forme d’unité intérieure.
C’est pourquoi quand nous souhaitons donner une profondeur émotionnelle à une histoire, il est primordial de travailler le parcours psychologique de notre protagoniste.
© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.