C’est une réalité tangible parce qu’il arrive un moment où le scénario devient un plan pour la production d’un film. Et d’une façon tout à fait concrète, tout est suspendu à la structure du récit – comment une scène conduit à la suivante, comment le début est façonné, comment le milieu est élaboré, comment la fin va se jouer. Même les titres des scènes – Extérieur, Intérieur, Jour, Nuit – modèlent la nature du film qui prend vie.
Donc l’affirmation de Goldman est vraie.
Mais elle est aussi problématique.
Quelque part en chemin, les structures de scénario ont commencé à se systématiser.
En partie parce qu’un certain segment de la caste des « gourous » de l’écriture de scénario a engendré des théories sur ce à quoi cette structure est censée ressembler, chacun avec son propre système où tel point clé de l’intrigue doit arriver entre telle et telle page, où les nœuds dramatiques majeurs doivent advenir entre telle et telle page, dans un script qui doit comporter X actes, séquences, temps forts, etc.
Au fil du temps, la structure a été réduite à un paradigme. Et le paradigme s’est métamorphosé en formule. Cela a contribué à alimenter le reproche sans doute le plus souvent exprimé par ceux qui, dans l’arène du développement de films à Hollywood, fouillent parmi des monceaux de propositions : les scénarios convenus.
Comme l’a dit le scénariste David Seltzer (La malédiction, Punchline), « Si vous entrez avec une formule, vous sortez avec une formule ».
Cette approche a pu fonctionner dans les années 80 et 90 quand Hollywood produisait à tour des bras des films « high concept », mais le problème inhérent à toute formule est qu’elle finit par s’épuiser. Pourquoi ? Parce que si le public connaît suffisamment bien la formule, il peut anticiper précisément la direction que prend un film, ce qui anéantit pratiquement toute possibilité de divertissement authentique.
Il n’est pas étonnant que les spectateurs contemporains, l’esprit encombré de clichés, de mèmes et de schémas, cherchent autre chose. Dans l’ensemble, les « happy ends » persistent, mais la façon dont l’histoire passe de FADE IN à FADE OUT doit être un voyage trépidant fait de twists et de rebondissements, d’inconnues connues et d’inconnues inconnues.
C’est là que se trouve la clef. Vous avez saisi ? Quand on parle de formule, le salut du scénariste réside en un seul mot : L’histoire.
Une histoire bouillonne de possibilités, elle peut aller n’importe où et faire n’importe quoi. Ses personnages sont des êtres actifs et sensibles qui vivent au moment présent et peuvent faire n’importe quel choix parmi une infinité.
Si vous créez des personnages pluridimensionnels, en conflit, troublés, déterminés, pleins de doutes et ainsi de suite, ils résisteront aux formules parce qu’ils seront des entités vivantes et dynamiques qui peuvent nous surprendre.
Et quand une histoire joue contre les stéréotypes et les attentes, l’auteur est sur la voie d’un grand scénario.
Pour citer à nouveau David Seltzer : « Ce qui est excitant pour un auteur, c’est de créer un prototype à chaque fois. Et vous pouvez le faire, quelque chose que personne n’a jamais écrit auparavant. »
Un prototype à chaque fois. En d’autres termes, respectez le déroulement de votre histoire, laissez-la respirer, permettez-lui d’aller où elle a besoin d’aller, ne la casez pas dans une quelconque formule prédéfinie.
Je comprends ce désir de réduire les mystères d’une histoire à quelque chose de plus gérable, un joli petit système permettant d’accélérer le processus d’écriture, une approche pouvant être dupliquée d’une fois sur l’autre pour assurer une production de scénarios efficace et rapide.
Mais l’efficacité et la rapidité – et surtout les formules – ne permettent pas de vendre un scénario. Un concept qui se démarque, des personnages captivants et un récit qui avance dans des directions imprévues et inattendues : voilà des clefs pour façonner un scénario qui puisse se vendre.
Donc si vous errez dans la nébuleuse bruyante de gens qui vous vendent tel ou tel modèle ou méthode pour écrire un scénario, n’oubliez jamais cette réalité fondamentale :
Les scénarios sont des histoires… pas des formules.
© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.