Films clichés ? Histoires superficielles ? Diminution de la qualité des scénarios sous l’influence du marché ? Succès des gourous du scénario se faisant passer pour des experts avec des idées fixes sur la manière d’écrire un scénario pour soi-disant faire un maximum d’entrées ?
Tout cela – et plus encore – découle de l’idée que certaines choses devraient se produire à certains numéros de pages dans un scénario.
Mais si vous acceptez ça comme une règle, alors vous réduisez l’écriture de scénario à un « jeu de points à relier ». En soi, cela diminue la valeur de l’artisanat et peut écraser toute créativité d’émerger au cours du processus.
Je suis prêt à reconnaître ça : je doute qu’il y ait un scénariste vivant qui n’ait pas un minimum de sens intuitif de l’endroit où les événements clés d’un scénario devraient se produire. Cependant, ce n’est pas un impératif, comme s’il existait une sorte de paradigme divin de structure scénaristique, mais plutôt un sentiment instinctif à la lecture de ce que l’on a écrit, on le sent… cet ensemble de scènes est trop long… ce temps fort devrait arriver avant…. J’ai besoin de laisser ce moment respirer et de le jouer un peu plus… l’histoire a besoin d’action ici…
Si l’acte d’écrire doit être autant, sinon plus, une question de sentiment que de pensée, nous avons plus de chances de servir cette fin en mettant les personnages au cœur du travail de création d’histoires. À cet égard, quoi que nous fassions et quelle que soit notre approche de l’écriture, nous devons laisser beaucoup de place à nos personnages pour parler et agir, pour que l’intrigue s’adapte et se retourne, pour que l’histoire ait suffisamment de place afin d’émerger aussi organiquement que possible.
De mon point de vue, quand on écrit une histoire, c’est comme de la magie. Si nous y allons déterminés à remplir un ensemble préétabli de 17 beats, 22 steps ou 40 temps forts, où est la magie là-dedans ?
Dans « La poétique », Aristote expose son sens de la structure narrative ainsi : Début. Milieu. Fin. C’est ce qui a donné la structure en trois actes. Si vous considérez ces trois éléments comme des mouvements natutels, alors vous avez déjà quatre plot points clés :
– Quel est le début de l’histoire ?
– Quelle est la fin de l’acte un ?
– Quelle est la fin de l’acte deux ?
– Quelle est la fin de l’histoire ?
Si vous pouvez répondre à ces quatre questions, vous avez l’épine dorsale (« spine », ou fil rouge) de la structure de votre histoire.
C’est peut-être tout ce dont vous avez besoin pour sauter à la page une et voir où les Muses vous emmènent.
Certains scénaristes peuvent avoir besoin d’en savoir plus. Par exemple, oui, il y a souvent quelque chose qui se produit dans le deuxième acte où l’intrigue subit un changement significatif, ce que certains – moi y compris – appellent le midpoint.
Donc peut-être qu’il y a cinq turning points clefs dans l’intrigue.
Nous pouvons même aller encore plus loin avec la théorie des Whammos (théorie à la mode dans les années 80-90).
Comme me l’a expliqué le producteur Larry Gordon (48 heures, Die Hard, K-9), en gros toutes les 10 pages, quelque chose doit faire « whammo !« . Il peut donc y avoir des histoires où, en travaillant avec les personnages, nous mettons en évidence 10 à 12 turnings points dans l’intrigue.
Mais quelle que soit notre approche du processus, nous devons nous attacher avant tout à la magie de l’histoire et la protéger. Permettez-moi de le répéter : je pense que la meilleure façon d’y parvenir est de se concentrer d’abord sur les personnages, de travailler avec eux pour voir où ils vous emmènent. Qui de mieux pour vous révéler l’intrigue que les véritables participants à cette intrigue ?
Donc, quiconque vous dit qu’il a une formule secrète… un paradigme éprouvé de structure du scénario… un ensemble détaillé de temps forts liants certains événements à certaines pages précises… ou l’existence d’un logiciel pour ordinateur (!?!!?) pour vous guider dans le processus de la création de l’histoire…. Je vous conseille de fuir aussi vite que possible.
Si votre première priorité dans l’élaboration d’un scénario est d’atteindre certains temps forts de l’intrigue à certaines pages, c’est la voie royale vers une écriture sans âme, une écriture caricaturale dictée par une formule.
Le pire de tout, c’est que cela contribue à l’état d’esprit cultivé par certains disant que l’écriture de scénarios n’est pas si difficile finalement : « Mettez simplement votre Incident d’Incident en page 5. Votre appel à l’aventure ici à la page 15, et ainsi de suite en remplissant votre petit paradigme avec n’importe quelle nomenclature du système particulier que vous choisissez d’utiliser. » C’est là que les gars en costards diront : « Finalement, l’écriture de scénario n’est rien d’autre que de la plomberie ! »
Comme je l’ai dit, c’est une pente glissante qui mène à la misère.
Je pense qu’on est tous d’accord, on veut plus de grands films. Nous voulons voir ce qui est unique et visionnaire dans les films que nous regardons. S’il y a des personnages familiers, des éléments d’intrigue un peu convenus et des tropes, travaillez-les d’une manière fraîche et amusante, en offrant un nouveau regard sur ces choses. Plus précisément, nous voulons écrire des scénarios dynamiques, suffisamment attrayants et divertissants pour attirer l’attention des lecteurs et ne pas les lâcher.
Pouvez-vous y arriver en travaillant avec un ensemble prédéfini de temps forts liés à un numéro de page précis ? Je n’en ferais jamais une règle. Comme je l’ai souvent dit, il n’y a pas de bonne façon d’écrire.
© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.