Qu’est-ce qu’un lissage (« polish » en anglais) ? À ma connaissance, il n’y a rien de codifié concernant cette phase de l’écriture, mais en général, je pense qu’on peut dire sans risque que le terme signifie : Prendre un scénario déjà solide en termes de personnages et de structure et l’améliorer dans un ou plusieurs domaines afin de l’amener au stade de la version finale (ou presque). Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Voici six domaines sur lesquels il faut se concentrer dans un lissage :

1/ Resserrer le scénario

Presque tous les scénarios, peu importe le nombre de brouillons que vous avez écrits, peuvent bénéficier d’un resserrement. Si vous êtes honnête avec vous-même et que vous pouvez regarder vos pages d’un œil objectif, vous trouverez presque certainement des éléments que vous pouvez tailler ou même supprimer complètement.

Commencez par les scènes. Passez en revue chacune d’elles et posez-vous quelques questions fondamentales : Cette scène est-elle absolument nécessaire ? Pourquoi ? Quel est le but de la scène ? Est-ce que cela permet d’atteindre l’objectif de l’histoire ? Pourrais-je entrer dans cette scène plus tard? Pourrais-je quitter la scène plus tôt ? La scène fait-elle avancer l’intrigue? La scène est-elle divertissante ? Si vous hésitez à répondre à l’une de ces questions par une réponse positive, vous devriez analyser cette scène et voir s’il y a moyen de faire mieux, ou peut-être faut-il l’abandonner complètement.

Passez aux dialogues. Vous pouvez poser une série de questions similaires pour chaque ligne du dialogue. Est-ce absolument nécessaire ? Pourquoi ? Quel est l’intérêt de la réplique ? Est-ce que ça sert l’enjeu de la scène? Pourrais-je l’améliorer en l’ajustant ? Pourrais-je améliorer la scène en coupant la réplique ? La réplique est-elle divertissante ? Encore une fois, si vous avez de la difficulté à répondre positivement à l’une ou l’autre de ces questions, considérez vos options concernant ce dialogue.

Soyez particulièrement dur quand il s’agit d’exposition dans les dialogues. En général, la plupart des scénaristes ont tendance à inclure trop d’informations et de faits. « Moins c’est presque toujours plus » quand il s’agit de dialogues qui transmettent de l’exposition.

Travaillez le rythme : Il n’y a pas de modèle établi pour gérer le rythme d’un scénario, mais l’objectif pour assurer un bon rythme est peut-être l’idée d‘équilibre.

⁃ Tandis que le premier acte peut être plus lourd avec de l’exposition et des introductions de personnages, mettant en place l’univers de l’histoire, le troisième acte sera généralement plus incliné vers l’action à mesure que le récit se propulse vers la lutte finale et la résolution.

⁃ Les scènes sont de différents types : Action, Interaction, Exposition ou Révélation étant les quatre principales. Il va de soi que vous ne voulez pas empiler cinq scènes d’exposition dos à dos, puis quatre scènes d’interaction, mais plutôt les équilibrer : Une scène d’action, suivie d’une scène d’interaction, une exposition suivie d’une scène de révélation. De cette façon, vous créez un tempo qui a de la variété dans son flux.

⁃ Les scènes de dialogues statiques (dites « à têtes parlantes »), dans lesquelles deux personnages ou plus se tiennent debout ou s’assoient et échangent des dialogues, sont particulièrement gênantes. Parfois, c’est précisément ce dont un scénario a besoin, mais trop de scènes « à têtes parlantes » peuvent ralentir le rythme d’une histoire. De plus, elles ne sont pas intrinsèquement cinématographiques.

Le rythme est l’un des aspects les plus subtils de l’écriture de scénario et pour un scénariste professionnel, il découle en grande partie de son instinct, il ressent simplement le rythme d’une histoire. Ce que vous pouvez faire dans un lissage c’est lire le script en restant strictement concentré sur le rythme, sentir son évolution. Si à un moment, vous avez l’impression que ça traîne ou, à l’inverse, que ça évolue trop vite, envisagez de changer l’ordre des scènes ou de reconcevoir les scènes pour qu’elles jouent à un tempo différent.

2/ Traquez l’émotion

Vous devriez avoir une idée claire de la transformation de votre Protagoniste, qui se déroule généralement en quatre mouvements : Désunion, Déconstruction, Reconstruction, Unité.

Les actions et les réactions du Protagoniste dans chaque section du scénario correspondent-elles à son arc de transformation ?

Passez en revue chaque sous-intrigue qui consiste en une relation entre un personnage et le protagoniste. Leurs scènes s’enchaînent-elles naturellement dans le cadre de la métamorphose du protagoniste ?

Pensez à l’émotion qui est en jeu dans chaque scène. Est-ce trop, peut-être exagéré ou même mélodramatique ? Inversement, vous n’avez peut-être pas suffisamment exploité la profondeur émotionnelle du moment. Est-ce qu’une scène joue l’émotion d’une manière « on the nose » (« comme le nez au milieu de la figure » = sans sous-texte) ou de façon clichée ? Pourriez-vous aborder l’émotion d’une manière surprenante, jusqu’à l’aborder de façon opposée à ce qu’on  pourrait s’attendre ?

Ne sous-estimez pas l’importance du contenu émotionnel d’un scénario. Peu importe à quel point les événements de votre intrigue sont divertissants, s’ils ne signifient rien de substantiel pour les personnages, ils signifieront encore moins pour un lecteur.

3/ Perfectionnez le dialogue

La première chose à faire pour lisser les dialogues d’un scénario est de s’assurer que chaque réplique correspond au genre de l’histoire, à sa tonalité. Si vous avez une comédie, vous voulez maximiser les occasions d’humour dans vos dialogues. Si c’est une histoire d’horreur, alors vous voulez vous concentrer sur la création d’angoisse. S’il s’agit d’un scénario d’action, travaillez à rendre le dialogue aussi dynamique que possible.

C’est aussi un domaine où vous pouvez avoir un impact sur le rythme d’une histoire. Aucune histoire ne joue dans un seul genre. Il y a des moments dans les histoires, peu importe le genre, où il y a de l’humour, du drame, de la peur, etc. Ainsi, si vous écrivez un scénario d’action, vous aurez peut-être besoin d’humour pour briser la tension. Parfois, une bonne ligne de dialogue peut fournir cette libération. D’un autre côté, si vous écrivez une comédie, vous aurez peut-être besoin d’un moment pour que certains personnages deviennent « réels » afin de rappeler au lecteur les enjeux émotionnels de l’histoire, alors peut-être pouvez-vous jouer quelques répliques avec un ton dramatique.

Et bien sûr, vous voudrez faire une relecture du sous-texte. Parfois, vous avez besoin d’écrire des dialogues qui traduisent précisément ce que le personnage veut dire. Cependant, il est souvent plus intéressant d’entendre les personnages ne pas dire ce qu’ils veulent dire, mais seulement transmettre leur vérité à travers le sous-texte. Donc, vérifiez chaque réplique du dialogue pour voir si la scène montre bien le personnage évitant de dire la vérité d’une manière « on the nose », en choisissant à la place (consciemment ou non) d’utiliser un mode de communication oblique ou détourné.

4/ Thèmes principaux

C’est quelque chose sur quoi la plupart des scénaristes travailleront au moment du lissage car la multitude des thèmes d’une histoire a souvent tendance à émerger tard dans le processus. Là encore, vous pouvez vous concentrer sur les relations des sous-intrigues avec le protagoniste, car chacune d’entre elles aura généralement une saveur ou un angle légèrement différent sur le thème central de l’histoire.

Posez-vous la question : cette relation de sous-intrigue a-t-elle un thème ? Si oui, de quoi s’agit-il ? Sinon, est-ce que j’ai raté quelque chose de plus profond qui se passe avec ces personnages ? Puis-je articuler ce sous-thème ? Appuie-t-elle et élargit-elle le sens du thème central ?

Un outil intéressant est le talisman – ces objets physiques qui prennent une signification symbolique. Il se peut que vous ayez trouvé un ou plusieurs objets dans votre histoire, qui attendent d’être utilisés pour améliorer le thème de l’histoire. Pensez à la boule à neige dans Citizen Kane, à la pièce de monnaie de Harvey Dent dans The Dark Knight ou à l’Anneau unique dans Le Seigneur des Anneaux. Si une image vaut mille mots, un talisman peut être équivalent à de multiples facettes d’un dialogue, en disant beaucoup plus visuellement que tout ce que vous pouvez écrire avec les mots d’un personnage.

5/ Rendre le scénario plus cinématographique 

Avant de finir de peaufiner votre scénario, faites une lecture d’ensemble en regardant chaque moment strictement à travers la perspective de son potentiel cinématographique.

Avez-vous maximisé les opportunités visuelles pour votre histoire ?

Existe-t-il des façons d’aborder les scènes qui évoquent des images dans l’esprit d’un lecteur? Y a-t-il des éléments visuels qui ont émergé et que vous pouvez relier pour créer un motif d’image ? Pensez à la couleur rouge dans American Beauty ou à l’utilisation de l’eau dans Inception.

6/ Traquez les transitions entre chaque scène

Existe-t-il des moyens de faire ces sauts en utilisant des éléments visuels comme ce montage incroyablement habile dans Lawrence d’Arabie ? Les transitions visuelles ne se contentent pas de lisser les transitions d’une scène à l’autre, elles peuvent aussi améliorer l’aspect cinématographique d’un scénario. 

Avec un lissage de script, vous essayez de prendre ce qui ne fonctionne pas dans un texte et de le faire fonctionner, mais aussi vous essayez de prendre ce qui fonctionne dans votre script et de le faire fonctionner encore mieux.  Votre but est de donner à votre histoire un éclat de complétude qui reflète l’immersion profonde de l’auteur dans l’histoire et le grand soin avec lequel il a élaboré le récit.

Et après le lissage, vous pensez peut-être que vous avez enfin fini ? Ce n’est pas le cas.

Vous avez une dernière série d’étapes dans votre aventure d’écriture pour arriver à la version finale. Ce sera le sujet d’un prochain post !

© Scott Myers – Article traduit par un.e scénariste membre de La Guilde française des scénaristes.